Avec une poussée rapide, un mouvement répété des milliers de fois et familier de son quotidien, la main d'Anne ferme puis resserre sa botte. Sa main, cependant, s'attarde, s'arrêtant sur sa jambe, juste sous le genou. Elle caresse quelque chose d'invisible, un fantôme, quelque chose en elle, dont la marque extérieure est une longue marque claire sur la peau de sa jambe.
Pense Anne, qui teste prudemment la stabilité de la neige avec sa carre, avant de partir.
La vie elle-même est une imperfection.
Aujourd'hui ce sera le temps, demain ce sera les conditions de neige, et après demain un signe blanc sur votre jambe pour vous rappeler ce morceau de métal qui tient vos os ensemble : il y aura toujours quelque chose d'imparfait. C'est seulement à ce moment-là, lorsque vous avez la possibilité de changer votre vie, que vous acceptez l'imperfection comme composante fondamentale de l'univers.
De votre histoire, de votre passé, de ce qui vous a amené à être qui vous êtes et où vous êtes, ou de l'histoire que vous raconterez pendant la soirée, heureux et épuisé à la fin d'une journée pendant laquelle le reste du monde s'est arrêté à la fenêtre pour attendre, s'ennuyer, attendre la perfection.
Car peu importe que vous soyez freerider ou skieur-alpiniste, si votre objectif est de franchir rapidement les portes ou d'explorer les montagnes de votre pays. Peu importe que le ciel soit d'un bleu douloureux ou que vous ne puissiez pas distinguer le sol du ciel.
Deux mots simples pour une vérité complexe : rien ne dure, rien n'est fini, rien n'est parfait, et c'est ce qui rend l'univers beau. Mais il y a quelque chose qui nous appartient : la possibilité d'accepter notre fragilité ou les conditions pour ce qu'elles sont, et non pour ce que nous voulons qu'elles soient
Anne prend une grande respiration et commence sa descente, en écoutant et en gérant la réponse de ses jambes, en contrôlant la pression et la vitesse, bosse après bosse, en appréciant la sensation. Là, si la perfection existe, c'est ce que l'on ressent.